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Works

Je commémore,
Tu Commémores,
Nous Commémorons 

Recherche mené de 2022 à 2024

Ce projet reçoit le soutien financier de la DRAC Grand Est, La Région Grand Est, la Collectivité Européenne d’Alsace et les Communautés de Communes de la Vallée de Saint-Amarin et de Thann-Cernay.  Il est mené en étroite collaboration avec l'Association des amis du Musée Serret de Saint-Amarin, de l’Abri-Mémoire à Uffholtz, le Collectif des Possibles et la Commune de Saint-Amarin.

 

Ce projet de recherche et création a pour but d’interroger le lien qu’entretient aujourd’hui la vallée de Thann (Haut-Rhin - 68) avec la commémoration. 

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 Journal II 

En mémoire des 149 soldats de l'hôpital mobile alsacien de Saint-Amarin - photo : S.O' Pho

 Journal III 

Je commémore, tu commémores, nous commémorons

par Doriane Spiteri  

critique d'art indépendante 
membre de c-e-a, de l'AICA-France et de 50°nord-3°est

    Depuis 2022, avec Je commémore, tu commémores, nous commémorons, Sybille du Haÿs explore la mémoire collective et individuelle dans la vallée de la Thur, en Alsace. Elle mène une recherche participative sur les lieux de mémoire, interrogeant notre rapport au passé, aux traces laissés dans l’espace public, pour permettre de réinventer les rituels de commémoration. En sillonnant la région, l’artiste recueille les récits des habitant·es pour révéler la richesse des souvenirs individuels à l’origine de la mémoire collective, reliant passé et présent dans cette région marquée par les guerres mondiales et les enjeux identitaires. 

    Dans Les Lieux de Mémoire, Pierre Nora définit ces lieux comme des espaces physiques ou symboliques où la mémoire collective se cristallise. Qu’ils soient des monuments, des commémorations ou des symboles, ils “deviennent lieu de mémoire quand ils échappent à l’oubli”, transformant des objets ordinaires en marqueurs mémoriels. Alors que la mémoire collective s’effrite, Sybille du Haÿs entreprend de relier le passé au présent pour donner forme à une mémoire vivante. 

 

    L’artiste se lance d’abord dans un inventaire en ligne des sites mémoriels via une carte interactive, invitant les habitant·es à enrichir la carte de leurs repères et récits. Cette cartographie participative mêle mémoire individuelle et collective, mettant en lumière des espaces officiels et informels. En leur donnant la possibilité de cartographier, nommer et partager leurs propres lieux de mémoire, elle les relie à un passé qui donne du sens au présent et contribue à la construction d’un récit commun. 

    Elle s’intéresse également au devoir de mémoire en organisant une performance commémorative le 11 novembre 2023 au Musée Serret à Saint-Amarin. Impliquant des collégiens et des bénévoles, cette performance vise à faire résonner les noms des soldats décédés au musée-hôpital pendant la Première Guerre mondiale. Des bulbes de tulipes sont plantés par les participant·es, invités à revenir au printemps pour observer leur floraison. Ce geste mémoriel collectif permet alors de redonner vie aux rituels, un moyen de “donner une chance de modifier le futur du présent qui commémore ce passé”. 

   

    Dans sa série de dessins Monuments imaginaires, Sybille du Haÿs imagine des lieux de mémoire adaptés aux besoins contemporains de mémoire collective. Chaque dessin interprète les formes classiques de la commémoration (stèles, statues, croix) en intégrant des éléments plus abstraits. Avec ces monuments, elle interroge l’impact de l’absence, de contre-monument où le vide et l’invisibilité deviennent aussi des supports de mémoire. Elle nous pousse alors à envisager la mémoire comme un processus vivant, capable d’évoluer. Elle questionne la rigidité des dispositifs actuels en proposant des structures qui évoluent et se transforment, intégrant des matériaux organiques. Loin de figer la mémoire dans un cadre imposé, ces monuments deviennent supports à réappropriation personnelle du souvenir, un moyen de dépasser le passé pour inventer un futur commun où chacun·e est gardien·ne de la mémoire. 

 

    Trouver le geste est composé de deux diptyques associant dessins et sons. Le premier représente d’un côté une stèle dédiée à Jean-Pierre, un cycliste décédé en forêt et de l’autre une croix en bois ornée d’objets personnels pour Florent, jeune homme mort dans un accident de voiture. Sybille du Haÿs dessine en noir et blanc les éléments du site, le paysage et le monument improvisé, tandis qu’elle rehausse en couleur les éléments symboliques et éphémères comme les fleurs et les objets déposés qui incarnent les rituels et gestes d’entretien. Une approche de la couleur qui fait apparaître la manière dont les souvenirs et les soins apportés à ces lieux les rendent vivants, porteurs de la mémoire de ceux qui ne sont plus là. En ajoutant les témoignages sonores des proches, elle rappelle que chaque geste est un acte commémoratif et dévoile un langage commun de la commémoration. La mémoire individuelle intègre alors la mémoire collective en s’inscrivant dans le paysage alsacien. 

Le second diptyque représente la croix du Staufen, une croix de Lorraine située sur les hauteurs de Thann. Ce lieu de mémoire érigé pour commémorer la résistance alsacienne suite à la Seconde Guerre mondiale, a été plastiqué deux fois en 1981 par les Loups noirs, un groupe radical indépendantiste. Elle représente le monument à deux époques différentes, créant un contraste qui reflète les tensions historiques. Les voix racontent l’histoire de ce monument devenu un double lieu de mémoire, à la fois national et contestataire.

   En invitant les résident·es à partager leurs récits et gestes de mémoire, l’artiste crée l’installation sonore Se mémorer pour documenter la mémoire locale autour de quatre notions : lieu, rituel, soin et définition de la commémoration. 

Pour s’immerger dans ces histoires, elle a mis en œuvre un dispositif d’écoute intime : sur des assises mobiles, des coussins sérigraphiés nous invitent à un moment de recueillement. Chaque coussin est soigneusement orné de pervenches et d’un texte : Sur un lit de pervenches on se mémore. En choisissant cette plante semée par les soldats pour embellir les tombes de leurs camarades, qui apparaît chaque printemps malgré le passage du temps, elle évoque la permanence et le renouveau, entre mémoire et résilience. 

Pour Lieu, elle recueille des descriptions de sites qui marquent le territoire et le quotidien : stèles, croix de route, cimetières et monuments. Investis d’affection, de symboles et d’histoires, ces lieux deviennent des réceptacles de mémoire, transcendant leur matérialité. Pour Rituel, ils et elles décrivent les gestes qui leur permettent d’entretenir la mémoire et de la transmettre : dépôt de fleurs, de bougies, d’objets personnels et gestes, témoignent de l’intimité des lieux. La dimension du Soin reflète l’attention régulière portée au lieu de mémoire : nettoyer une stèle, repeindre une croix, tailler des fleurs. Dans la dernière section Définition, elle demande aux habitant·es de définir la commémoration, donnant lieu à une diversité de nuances. Au-delà du monument ou du rituel, celle-ci devient un acte de lien social et d’identité.
 

    Exploration profonde et sensible de la mémoire, ce projet de Sybille du Haÿs relie intimement les souvenirs individuels à une mémoire collective en perpétuelle transformation. Associant dessins, photographies, installations sonores et performances, elle parvient à proposer des lieux de mémoire vivants et des espaces où la mémoire s’ancre autant dans les symboles que dans les gestes partagés. En écho à Vinciane Despret dans Les Morts à l'œuvre qui explore la manière dont les morts insistent auprès des vivants au travers des pratiques de mémoire, comme une résistance à l’effacement, elle met en lumière l’importance du soin apporté aux souvenirs. Par le biais d’objets symboliques, de gestes participatifs et de récits polyphoniques, elle révèle une mémoire active, non seulement comme héritage mais processus vivant et relationnel. 

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