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Ruines et vestiges du passé

par Doriane Spiteri 

- 2024 - commissaire et critique d'art indépendante 
membre de c-e-a, de l'AICA-France et de 50°nord-3°est
 

 

   A travers le dessin, la peinture, l’installation ou la vidéo, Sybille du Haÿs explore les liens entre mémoire individuelle et collective et les traces laissées sur notre contemporanéité.
Souvent conçus à long terme en accumulant des éléments au fil du temps, ses projets font usage de l’anecdote historique et de l’archive pour mettre à jour les récits du passé. En jouant sur l’effacement progressif et l’absence, ses œuvres révèlent la fragilité et la persistance des souvenirs. 

   L’utilisation d’images d’archives et le dialogue entre les époques mettent en lumière des récits historiques oubliés ou négligés invitant à réfléchir sur la mémoire et la manière dont les souvenirs individuels s’intègrent à une trame historique collective. En 2013, avec son triptyque vidéo Who Wants to Shoot, elle propose une confrontation mémorielle en présentant des vidéos d’archives des armées vietnamiennes et américaines en regard avec ses propres enregistrements et ceux de touristes pour interroger la transformation d’un site de guerre en attraction touristique. En 2021, avec Garder la trace d’hier et d’aujourd’hui, elle réalise une série de dessins à partir de photographies anciennes qu’elle a trouvées et d’images issues d’Instagram géolocalisés dans une vallée près de chez elle pour explorer la préservation des souvenirs à travers le temps. 

   Pendant plusieurs années, une dimension religieuse a emergé dans certaines des œuvres de Sybille du Haÿs, interrogeant symboles, pratiques et objets religieux en les mettant en perspective avec notre actualité. Un intérêt pour le sacré et le profane qui transparaît encore avec Reconnaissances, une série d’ex-voto qu’elle mène depuis 2011 pour remercier les artistes qui influencent son travail, ou encore avec sa série débutée en 2015 Je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères - hommages, des portraits gravés sur paraffine dans laquelle elle rend hommage à des figures historiques engagées dans la lutte contre l’oppression, introduisant une critique de l’histoire coloniale et du privilège blanc. 

   A l’arbre vert (2015) marque le début d’une approche collaborative, devenue fondamentale dans son travail. En impliquant activement les habitant·es, grâce à des entretiens et des recherches de terrain, elle met en scène leurs récits dans une installation vidéo et propose une nouvelle histoire du territoire. Ce projet amorce également son retour au dessin qu’elle travaille en contraste, combinant des éléments précis à des zones vides pour créer un dialogue entre présence et absence. Les dessins de sa série Veilleurs de nuit  en 2021, reprennent cette technique d’effacement de l’image symbolisant la lutte entre mémoire et oubli. 

 

   Commencé en 2022, son projet Je commémore, tu commémores, nous commémorons est centré sur la vallée de la Thur, en Alsace. En inventoriant et documentant les lieux de mémoire de la région, elle s’engage auprès des habitant·es pour chercher à comprendre les manières dont les communautés se souviennent et honorent leur passé à travers les rituels, les gestes et les objets utilisés. 

En superposant les couches, les références et les récits, Sybille du Haÿs choisit avec soin les médiums en fonction des sujets abordés. Oscillant entre visible et invisible, elle valorise les témoignages individuels, les mémoires et les expériences partagées. Les images disparaissent dans le papier pour symboliser l’impermanence et l’altération des souvenirs. Avec sensibilité, ses œuvres créent un dialogue entre présence et absence, mémoire et oubli et deviennent des lieux de mémoire en elles-mêmes. 

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En mémoire des 149 soldats de l'hôpital mobile alsacien de Saint-Amarin - photo _ S.O' Pho
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Retranchés - 2021
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À l'Arbre Vert - 2015 - © S. du Haÿs
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Se mémorer - vue de l'exposition _Soigner les vivants _ - Abri-Mémoire - 2024 - Photo _ An
affiche Je commémore BD.jpg
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Transmergence03-Sybille du Hays-Je ne suis pas esclave-Pierre_Rich-72_internet.jpg
Sans Titre - crayon sur papier et paraff
Invitation au Voyage - 2014 - © S.du Haÿs
Who wants to shoot ? 2013 - © S. du Haÿs
Portrait d'un Aumônier Militaire - 2012 - ©S. du Haÿs
Silence - 2012 - ©S. du Haÿs
Histoire d'une mémoire à ne pas oublier - 2012 - © S.du Haÿs
Invitation au Voyage - © Sybille du Haÿs
Reconnaissances - 2012 © Sybille du Haÿs
Norbert Zongo © Sybille du Haÿs
Les Oubliés de l'Actualité - 2009/2010 - © S.du Haÿs
24h de la Vie d'une Femme - 2010 - © S.du Haÿs

Sybille du Haÿs

par Elise Girardot  

- commissaire et critique d'art indépendante de l'AICA-France - paru en 2013 dans Slicker n°6 - journal des découvertes artistiques

 

   L’anecdote historique et l’archive font partie intégrante de la recherche plastique de Sybille du Haÿs, autant d’outils qui lui permettent de jouer avec les déclinaisons possibles d’un même récit.

 

   Elle saisit l’information pour en livrer son interprétation, comme dans l’installation Les oubliés de l’actualité. Histoire et mémoire sont deux notions récurrentes de son engagement plastique. De l’art à l’histoire politique et institutionnelle, elle balise un champ de recherches ambitieux qui se déploie en plusieurs ramifications de pensée.

 

   Elle explore par exemple les manifestations d’une spiritualité universelle, inhérente à la vie, et utilise pour ce faire des éléments appartenant au domaine religieux comme le retable ou l’ex-voto. Dans Reconnaissances c’est la dichotomie entre les notions de sacré et de profane qu’elle choisit de mettre en avant, tout en manipulant les références artistiques, hommage caustique rendu aux artistes et penseurs à qui elle s’adresse. Dans Silence, l’accumulation de cire coulée crée un débordement ; l’ancrage au sol devient indispensable à la mise en scène de cette pièce qui évoque un temps figé, celui de l’institution religieuse statique.

Ces détournements d’objets interrogent la manipulation de la matière, comme dans la peinture Portrait d’un aumônier militaire. L’image pixélisée, démantelée, morcelée oblige le spectateur à s’éloigner afin de trouver une distance physique et critique. En partant du territoire local (À l’arbre vert) ou international (Who wants to shoot ? et Invitation au voyage), Sybille du Haÿs décline une pratique pluri-disciplinaire et esquive la conclusion hâtive, s’inscrivant, comme artiste, au coeur de la réflexion mémorielle collective et individuelle. 

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